Comment deux êtres à la fois si proches et si différents pouvaient exister en même temps ? Et comment avait-il pu se rencontrer ? Ces questions tournaient depuis un moment dans l’esprit d’Erdrak jusqu’à ce qu’elles soient pleinement formulées par son esprit. D’un côté, Alford, un maître d’armes, qui maitrisait l’épée avec facilité et qui avait quitté sa vie paisible pour devenir mercenaire, de l’autre Erdrak, mercenaire depuis toujours rêvant d’une vie posée avec une famille, se battant à la hallebarde. Deux points de vue assez différents mais un point commun : leur besoin de combat. Erdrak ne pensait pas pouvoir s’adapter à la vie civile malgré son envie de repos. Le maître d’armes semblait toujours calme et réfléchi alors que le mercenaire avait des tendances colériques et peu de contrôle de lui-même une fois la limite franchie. Là encore, un point commun, leur capacité à reconnaitre la valeur de leur adversaire. En cherchant bien, les deux guerriers pouvant trouver une infinité de points communs et de divergences allant par paire. Ils pourraient former un duo étonnant mais terrible.
Même si je porte une armure lourde, le carreau serait passé. Sans l’armure lourde, je suis une cible mobile bien plus complexe à atteindre. L’un dans l’autre les avantages conféraient par l’un apportent des inconvénients que n’a pas l’autre. Je ne crois pas vraiment que les Esprits ou le Dracos s’intéressent à notre devenir au cœur d’une bataille, ni vraiment au destin. Mais je suppose que si on doit mourir, ce n’est pas une armure lourde qui nous sauvera. Mais en effet le futur n’est pas tracé nettement. L’avenir est comme un fleuve immense, le courant s’écoule vers le futur laissant le passé derrière, nous n’y avons ni port, et il n’a aucun rivage. Il coule et nous ne pouvons que nous orienter dans ses flux pour rester dans la zone calme ou au contraire plonger dans les tumultueux rapides.
Encore un carreau de bien placé. S’éloignant toujours, la cible devenait difficile à atteindre pour l’archer, mais la difficulté ne paraissait pas augmenter pour l’arbalétrier. Erdrak tira une flèche avant de répondre à Alford. La flèche partit parfaitement bien pour se figer contre le carreau cible. Le mercenaire laissa glisser un petit sourire pour son tir réussi. C’était sûrement un coup de chance mais il était toujours agréable d’atteindre une cible. Puis il se tourna vers son ami. Ses questions ravivaient des souvenirs très douloureux, trop douloureux, mais ce soir, Erdrak se sentait le besoin d’en parler un peu et Alford était la personne la plus amène de le comprendre, ou de ne pas le juger. Poussant un léger soupir aux souvenirs de ses camarades et familles tombés par les armes, il aimerait se dire qu’ils étaient morts pour un idéal, mais même lui n’en avait aucun. Ils étaient morts pour de l’argent pour certains, pour rien pour d’autres, par erreur pour beaucoup.
J’ai été rapidement dans l’armée, pendant la guerre contre les Alayiens, c’était le seul moyen efficace de survivre pour un mercenaire solitaire. Sinon j’aurai servi de chaire à flèche en première ligne. Mais la victoire est venue bien moins vite que la défaite et je suis parti. Et… j’avais l’impression de trahir mes anciens camarades. Il est vrai que j’aurai pu devenir gradé au bout de quelques années. Mais j’étais déjà capitaine. Dans mon ancienne compagnie, je faisais partie du commandement. Bien sûr, cela n’a rien à voir avec un grand commandement militaire. Toutefois, je ne sais pas encore capable de suivre les ordres d’une hiérarchie complète. A l’époque je ne rendais compte qu’au commandant et rapidement aux autres capitaines. Quand on a gouté à cette liberté, il est difficile de tout recommencer depuis le début. Je suis un peu comme toi, j’accepterai de suivre un commandant talentueux, mais pas de subir les ordres de toutes une chaîne et surtout, devoir être jugé au combat par des personnes aux compétences douteuses. Erdrak était-il seulement encore capable de commander correctement ? Les derniers évènements l’avaient rendu quelque peu froid envers la vie, la sienne comme celle des autres. Or, un commandant se doit de s’inquiéter de la vie et de la santé, physique et morale, de ses hommes. Non, il en était incapable en ce moment, et il risquait de les mener à la victoire, mais sans faire attention aux pertes. Plutôt que de la solution la plus sûre pour ses hommes, il prendra la solution la plus certaine pour la victoire. Ce n’est pas commandé ceci. C’est être un boucher.
La soirée se passa, Alford toujours d’une précision terrible tandis qu’Erdrak continuait à visait avec précision mais toujours moindre que l’arbalétrier. Après une dizaine de tirs, les deux hommes arrêtèrent leur duel, avec une victoire écrasante du maître épéiste. La nuit fut paisible et la journée suivante signala la fin de leur escorte. Les mur de Gloria, la Décadente, grandissait rapidement et une fois arrivés à destination, les marchands fournirent leur paiement aux guerriers avec une petite prime, tellement ridicule qu’ils auraient pu s’en passer, pour avoir repousser l’attaque des paysans. Une fois payé, Erdrak se tourna vers Alford en souriant, un sourire sincère qui jurait avec son regard, toujours froid et calculateur, impénétrable. Bon, comme nous sommes toujours vivants, tu vas devoir tenir ta promesse. Je ne connais plus trop la ville et ne veut pas trop la connaitre alors, je te laisse le choix du lieu, tu as toute ma confiance là-dessus.