Fascinée, Silarae regarda le soleil se coucher petit à petit, lançant ses ultimes rayons vers la terre pour tenter de se rattraper de sa chute. L’astre solaire lui-même devait plier devant la douceur de la nuit, qui a son tour relaisserait sa place à l’astre de jour. Et ce schéma se répèterait, encore et encore, source de vie et de mort, indispensable au continent. Les petits bipèdes en faisaient des ballades qu’ils chantaient le soir venu, accompagnés de leurs morceaux-de-bois-au-chant-harmonieux, tandis que les dragons admiraient en silence ce cycle éternel. Ils ne pouvaient rien y changer, mais ils ne voulaient rien y changer. Armanda souffrait d’assez de maux pour désirer modifier ce qui ne pouvait l’être. Et quoi ? Si tout se déroulait ainsi, par nuit et jour, par saisons, années, c’était qu’il le fallait. Lorsque la neige recouvrait le monde de son pâle éclat un peu timide, cherchant à conquérir les cœurs devant sa beauté si fragile, c’était bien qu’il devait en être ainsi, mais surtout que pour l’équilibre même d’Armanda elle se devait d’exister. Tout était prévu, réglé, pour que les êtres sur cette terre soient dans les meilleures conditions possibles. Le froid d’hiver, ce froid glacial, ce froid haït par les petits oreilles-rondes-au-sang-chaud, qui gelait leurs récoltes trop tardives et emmenaient les plus vieux, les plus jeunes, les plus tristes par l’âme, auprès de Mort, lui aussi était nécessaire pour purifier le sol. Et puis comment se réjouir d’un été éternel ? Non, c’était ainsi, les jours et les nuits, les saisons unes à unes, tout était parce que cela devait être. Tout simplement. Et si les parois de l’entrée de la grotte se coloraient légèrement d’un délicat orange un peu doré, à peine visible pour qui n’était pas habitué à parcourir d’un regard morne les grises parois de l’endroit comme la blanche dragonne, elles gardaient pour autant les ténèbres plus profondes qui régnaient au plus profond de l’endroit. Combien de fois, combien d’heures l’écailleuse avait-elle fixé ces murs rocheux, hantée par le souvenir d’un être cher, rongée par la culpabilité, dévorée par la haine et la colère ? Combien de fois avait-elle franchit cette prison dans laquelle elle s’était elle-même enfermée, pour passer quelques instants, toujours aussi seule, dans le royaume céleste qui offrait son immensité pour y naviguer ? Combien de fois, entendant des pas se rapprocher, avait-elle espéré, en vain, l’annonce d’une nouvelle qui la sortirait de sa léthargie ? Combien de fois avait-elle grondé, torturée par les pensées qui tourmentaient son vaste esprit, tandis que le son de sa gorge se répercutait en échos dans ce creux de la terre ? Combien de fois… ?

Dérangée dans sa contemplation des derniers rayons qui parvenaient à jouer sur l’entrée de la caverne par une voix bipèdes, la Reine des Cieux, ainsi qu’elle se faisait nommer, dirigea son regard mi-clos et mordoré vers la petite silhouette se dessinant en contrejour, tandis que les paroles venaient jusqu’à elle. Un vampire. L’être présent possédait l’odeur caractéristique des deux-pattes-au-sang-froid. Que lui voulait-il encore, celui-ci ? Du savoir et de l’amitié ? Quelle drôle d’idée. Décidément, elle ne comprendrait jamais les bipèdes. Approchant son esprit du sien, elle fut surprise de ce qui en ressortait : ce vampire n’avait pas cette violence qui hantait l’esprit de ses semblables. Il était plus doux, semblait-il. Intéressant, intéressant… non ? Non, pas vraiment. Silarae ne s’intéressait plus à grand-chose depuis trois ans. Tout était plus vide qu’auparavant, plus fade. Comme si un voile avait recouvert son monde sans qu’elle ne puisse rien faire pour l’enlever, et sans même qu’elle ne le souhaite. Parfois, la léthargie était préférable à la souffrance, d’autant plus quand cette dernière ne pouvait s’exprimer au travers de sa colère qu’elle se devait d’étouffer. Pour l’instant du moins.

*Serait-ce donc un ordre que tu me donnes, petit-dents-longues, que je te pardonne cette intrusion ? Que feras-tu si ce n’est pas ce que je fais et que je t’en garde rancune ?*

Ironique comme toujours, la voix qu’elle avait glissée contre l’esprit de l’inconnu se tue un instant, laissant le visiteur méditer ces paroles sans qu’elle ne fasse rien pour atténuer son trouble. Finalement et tandis que le silence s’épaississait, elle reprit parole d’un ton plus las.

*Très bien, approches, et dis-moi ce que tu viens réellement quérir ici, à l’orée de la terre, auprès d'une dragonne à l'esprit tourmenté.*